En 1957, un facteur de 11 ans, pour cause de grippe asiatique

By 2 years agoNews, News

Printemps 2020. Au sortir de la première vague de Covid-19, la famille se retrouve enfin après deux mois de confinement. Au milieu de nos discussions animées, mon père remonte le temps et nous raconte comment, à 11 ans, il est devenu facteur: «On habitait alors à Court, dans le canton de Berne. C’était les vacances scolaires et le buraliste appelle mon père: «Dis, est-ce que ton fils pourrait venir livrer le courrier? Nous avons trop de malades et n’arrivons pas à suivre.»

«Plus tard, je me suis tout de même demandé si c’était légal», se souvient-il en ce début janvier 2022. Visiblement, en 1957, on ne s’embarrassait pas de telles considérations. Car si la grippe asiatique qui sévit est peu meurtrière, elle n’en envoie pas moins quantité de travailleurs et de travailleuses au lit, plaçant l’économie suisse sous forte tension. La Gazette de Lausanne suit la situation, mais consacre sa une à un mémorable Congrès du parti travailliste à Brighton. L’auteur de ce récit, «La porte du paradis», n’est autre que Jean Dumur dont le nom récompense aujourd’hui les plumes romandes les plus talentueuses.

Il faut se rendre en page cinq, ce 10 octobre 1957, pour découvrir qu’aux guichets postaux de Genève, «il manque actuellement 40 hommes. Dans le personnel en uniforme, il se trouvait 70 absences mercredi. Congés et absences ont été supprimés et il a fallu faire appel à des retraités et des auxiliaires.»

Un salaire modeste et des chiens à affronter

A 200 kilomètres de là, dans la vallée de Tavannes, on a donc choisi un enfant. Ce qui ne va pas sans mal. «L’un des problèmes, se souvient le facteur en herbe, c’est qu’il fallait être assermenté pour cette tâche. A la place, on m’a juste expliqué que je ne devais pas parler de ce que je distribuais. Surtout qu’à l’époque tout le trafic des paiements passait par la poste. L’AVS existait depuis peu et je devais livrer leurs rentes aux retraités du village.» Pendant une dizaine de jours, poussant sa charrette pour un salaire de deux francs de l’heure, mon père «jouera» ainsi à la poste, une activité plus risquée qu’il n’y paraît. «On m’avait d’abord assigné un quartier où il y avait beaucoup de fermes. Mais les chiens ne me laissaient pas passer. Alors, on m’a attribué un quartier plus moderne et tout s’est bien passé.»

Une sonnerie l’interrompt. Cela ne s’invente pas, c’est le facteur qui vient livrer un paquet. «Pour le moment, pas trop de malades», nous rassure-t-il, avant d’ajouter: «Mais autour de moi, les contagions se multiplient. Alors je ne sais pas combien de temps je vais y échapper», glisse-t-il avant de filer pour terminer sa tournée.