Emma Green, star de la «new romance» à la française
Elles sont deux et, sous ce nom, publient depuis dix ans des histoires d’amour contemporaines qui interrogent les phénomènes de société. Les lectrices adorent.

Studio «Emma Green», Paris.
JEAN-PHILIPPE BALTEL/ÉDITIONS ADDICTIVES
Elles se sont rencontrées sur les bancs d’une école de journalisme à Paris. Depuis 2013, elles écrivent à un rythme phénoménal des romances modernes que les lectrices s’arrachent. L’une est brune, l’autre blonde. On ne connaît pas leur vrai nom: publiquement, elles sont Emma Green, «serial best-selleuse» depuis «Cent facettes de Mr Diamonds». Elles incarnent à merveille, avec charisme, bonne humeur et efficacité, un genre littéraire qui explose depuis une décennie: la «new romance», soit des fictions romantiques épicées d’un zeste de passion érotique, souvent publiées sous forme de séries et générant un important phénomène communautaire. Si les éditeurs français spécialisés se sont longtemps contentés de traduire les autrices anglo-saxonnes, les plumes françaises, Emma Green en tête, se sont désormais fait une place au soleil.
Le 11 avril paraîtra «Jeux interdits», c’est-à-dire la réédition, en édition revue et augmentée, de la saga qui vous a rendues populaires. En quoi cette série vous tient-elle à cœur?
Nous avons démarré cette série de romans en 2015, au retour d’un voyage en Floride. Nous sommes tombées amoureuses de l’île de Key West. Sur cette île paradisiaque, les animaux sauvages vivent en liberté, il y a des artistes partout, on entend de la musique à tous les coins de rue: cette vie de bohème où la liberté est reine donne l’impression qu’absolument tout est possible. Même écrire une série en 4 tomes dont le point de départ est un amour interdit entre un demi-frère et une demi-sœur!
La série «Jeux interdits» est notre œuvre «signature». On y a mis tout ce qu’on aime: une famille dysfonctionnelle mais un clan soudé, des mariages qui tombent à l’eau, un grand amour, des relations filiales et fraternelles complexes, des dialogues piquants et beaucoup d’émotions. Nous avons eu envie de faire découvrir cette galerie de personnages à notre nouveau lectorat. Ceci en retravaillant le texte, actualisant ce qui avait besoin de l’être et ajoutant quelques chapitres bonus.
«Ce qui nous rend vivants», votre roman le plus récent paru en octobre 2023, raconte l’histoire de Cléo et de Carter, son «meilleur ennemi». Un schéma «Je t’aime moi non plus» vieux comme l’histoire des histoires d’amour mais toujours aussi efficace?
Toujours aussi proche de la vraie vie, surtout! Et est-ce qu’on a déjà vu une histoire d’amour se dérouler comme un long fleuve tranquille sans accroc? Nous aimons écrire les amours tourmentées, les émois du premier grand amour qui ravage tout, les amitiés qui dérapent, les amours qui traversent les épreuves, les passions éphémères et les retours de flamme… «Ce qui nous rend vivants», c’était surtout pour nous un défi: écrire une romance médicale comme on en rêvait, en grandes fans des séries «Urgences», «Grey’s Anatomy», «New Amsterdam» et tant d’autres.
Vous vous êtes lancées ensemble dans le journalisme, puis dans l’écriture de romans. Quels liens pouvez-vous faire entre ces deux mondes?
En travaillant ensemble comme journalistes puis autrices, nous nous sommes rendu compte que ces deux métiers n’étaient pas si éloignés. Tous nos romans sont ancrés dans le réel. On a eu l’idée de «Ce qui nous rend vivants» après avoir lu un article sur le taux de suicide des internes en médecine en France. «La vie en vrai» est né après avoir vu un documentaire sur le harcèlement scolaire.
Nos romans germent dans nos esprits parce que nous nous posons une question précise sur un sujet de société: comment tombe-t-on amoureuse quand on fait une taille 50 et que la grossophobie est partout? Comment aime-t-on quand on a eu un père violent ou une mère démissionnaire, quand on est homo mais qu’on ne se l’avoue pas? Ce métier merveilleux nous permet de nous glisser dans toutes les peaux et de donner à entendre de multiples voix.
Vous travaillez en symbiose et il est impossible de distinguer qui a écrit quoi. Malgré tout, pouvez-vous nous indiquer qui fait quoi?
Nous passons plusieurs mois sur le travail de préparation, à confronter nos idées sur les grandes lignes, le thème, le fil conducteur, les intrigues, les personnages et leur évolution. C’est seulement une fois que nous connaissons notre histoire sur le bout des doigts que nous nous mettons à l’écrire. Ensuite, chacune écrit un chapitre et le passe à l’autre pour qu’elle enrichisse, corrige, harmonise. Écrire à quatre mains est la partie la plus agréable de ce métier, qui peut être solitaire et parfois ingrat.
Vous tenez à votre anonymat respectif, mais vous êtes par ailleurs très proches des lectrices, multipliant les rencontres en salons. N’est-ce pas un paradoxe?
C’est vrai que nous préférons parler de notre travail que de nous. D’ailleurs, malgré cette proximité avec nos lecteurs, on ne nous pose jamais de questions intrusives et les gens sont respectueux de nos vies privées. Lors des salons ou des interviews, on a l’habitude d’être appelées «Emma la blonde» et «Emma la brune», ça nous amuse et ça nous va très bien!
Quelles amoureuses sont les Emma Green?
Nos romans parlent pour nous: nous sommes à la fois désespérément romantiques et absolument féministes. Il faut s’accrocher pour concilier les deux!
Lire un roman d’Emma Green, est-ce vivre des histoires d’amour par procuration ou s’inspirer de personnages passionnés et en prendre de la graine pour sa propre vie?
Lire, c’est ce que vous en faites. Nous, nous sommes droguées aux émotions. On adore rire aux éclats, pleurer pour rien, se révolter, s’attendrir… et transmettre un peu de ce qu’on ressent. C’est l’immense pouvoir de la littérature: les mots des autres décrivent exactement ce qui vous touche, vous angoisse, vous émeut. Nos romans peuvent donner l’envie de vivre un peu plus fort, de s’aimer un peu plus, de devenir le héros de sa propre vie.
Vous lit-on à 20 ans de la même manière qu’on vous lit à 70 ans? Et les garçons vous lisent-ils?
Notre lectorat est majoritairement féminin, mais des garçons nous lisent aussi. Notre grande réussite, c’est de savoir que nos romans parlent à toutes les générations. On croise des lectrices de 15 ans qui nous disent qu’elles n’aimaient pas lire jusque-là, des femmes aux vies bien remplies qui se sont remises à la lecture grâce à nous, des trios de filles, mères et grands-mères qui s’échangent nos livres et en discutent entre elles. On adore ces partages intergénérationnels!
Comment expliquez-vous que vos lectrices, plus que des lectrices, sont de véritables fans?
Les tournées dans les librairies ou les salons, les réseaux sociaux et le temps qu’on y passe au quotidien, tous ces temps d’échanges ont permis d’abolir la distance un peu solennelle qu’il y avait entre auteurs et lecteurs. Cette proximité, on nous la rend au centuple. Nous avons un lectorat très fidèle, qui nous suit depuis des années et vient de loin pour nous rencontrer. On adore ces moments partagés à écouter leurs avis, leurs confidences… et on prend très souvent des notes pour glisser dans nos romans des anecdotes qui nous ont touchées, des prénoms particuliers!
Emma Green est un pseudo inspiré de Ross et Rachel de la série TV «Friends», qui vous a beaucoup marquées. Aujourd’hui, de quelles séries êtes-vous fans?
Nous avons été biberonnées aux séries télé et on nous dit souvent qu’on retrouve cet esprit dans nos livres: plusieurs narrateurs, une galerie de personnages qu’on suit sur plusieurs années, des suites, des cliffhangers à la fin des chapitres. On adore entendre que nos livres, une fois commencés, ne peuvent pas être posés. Notre maison d’édition ne s’appelle pas Les Éditions Addictives pour rien. Dernièrement, nous nous sommes prises de passion pour «True Detective», «The Last of Us», et «Sambre», une série française qui retrace une affaire judiciaire sur trente ans. Mais aussi pour «Un jour», une série douce-amère adaptée d’un roman de David Nicholls, et «Heartstopper», qui raconte les méandres amoureux d’un groupe de lycéens, et en particulier l’histoire d’amour de deux garçons que tout oppose.
La plus belle histoire d’amour jamais écrite, à vos yeux, et pourquoi?
Sacrée question! Impossible de ne pas songer immédiatement à Roméo et Juliette. «Ce que l’amour peut faire, l’amour ose le tenter…»
Pourquoi la romance, notamment par le biais de la «new romance», connaît-elle une effervescence nouvelle?
Peut-être que plus notre monde souffre, plus on a besoin d’amour? C’est sans doute un peu simpliste, mais l’étiquette «romance» l’est aussi. Les gens qui n’en lisent pas imaginent des récits à l’eau de rose. Mais la romance est aussi plurielle que la littérature en général. Nous écrivons avant tout des romans – parfois des comédies, parfois des drames, parfois des histoires policières. Aujourd’hui, on voit les lecteurs se tourner vers Mélissa Da Costa, Virginie Grimaldi, Agnès Ledig, Aurélie Valognes, qui écrivent des romans qui touchent au cœur, encore considérés il y a peu comme de la sous-littérature, des «livres de bonnes femmes»… Nous sommes très heureuses qu’un certain snobisme n’empêche plus les lecteurs de lire ce qu’ils aiment.
À l’ère de #MeToo, que pensez-vous des relations amoureuses entre les femmes et les hommes? #MeToo vous a-t-il fait changer votre manière de concevoir des histoires?
L’ère #MeToo et la libération de la parole n’empêchent ni le désir ni la séduction. Au contraire. Les hommes qui pensent qu’on ne peut plus rien dire, plus rien faire, devraient lire davantage. Bien sûr que nous nous sentons une certaine responsabilité, surtout vis-à-vis de nos lecteurs les plus jeunes: le consentement est au cœur de nos préoccupations. Nous prônons l’égalité dans nos romans comme dans nos vies et tentons, à notre niveau, de faire bouger les lignes. On peut vivre une sexualité passionnée sans rapport de domination et être une romantique sans naïveté ni soumission. Quand on aime à la folie, est-ce qu’on ne vibre pas de savoir que l’autre est entièrement libre de ne plus nous aimer… ou de choisir de nous aimer, encore?
«Ce qui nous rend vivants», Emma Green, Les Éditions Addictives, 562 p.
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